Textes

L’imaginaire discursif

Martial Déflacieux

La pertinence et la beauté des oeuvres de Julien Collieux reposent sur une maïeutique particulière, pleine d’ironie. Elle fixe l’horizon difficilement descriptible d’un imaginaire discursif qui prend forme de manière appliquée dans des objets ou des performances d’une grande fragilité. Ici, une guitare découpée en six morceaux et rendu (presque) inutilisable. Là, une série de dessins à la facture enfantine. Julien Collieux semble rechercher ce moment de grâce à travers lequel un certain chaos laisse provisoirement apparaître un langage. Ce moment où par exemple le premier mot de l’enfant apparaît.

L’artiste utilise couramment des systèmes sémiologiques plutôt familiers, le solfège par exemple ou plus généralement des systèmes analogiques. On retrouve souvent des partitions d’œuvres internationalement connues ; « l’hymne à la joie », « La Marseillaise », « The Star-Spangled Banner », « L’Internationale ». Ces hymnes ne sont pas utilisés comme un signifiant en tant que tel ( internationale = communiste) mais parce qu’ils forment des archétypes musicaux dont la construction est parfois très similaire et surtout réminiscente. Ce sont ces compositions que l’on se répète parfois toute la journée après une première écoute.

Tout comme un air fredonné malgré nous, les oeuvres de Julien Collieux peuvent donc se cacher dans le pli d’un souvenir. La partie visible du travail de Julien est, à cet exemple, un infime élément d’un plus large palimpseste laissé vacant à la curiosité du spectateur. Certains découvrirons donc sous les 63 volets d’un écran animé les cartons d’un jeu de mémoire pour enfant (memory) ou sous la partition de l’hymne américain une mappemonde. Autant d’indices qui sont la forme quasi atomique d’un système qui parfois dévoile sa logique, une partie visible qui laissera de nouveau place au chaos ou plus justement à une matrice. L’horizon dans lequel Julien Collieux s’aventure multiplie des points de perspectives en éternels mouvements, mouvements sauvés de l’entropie (parfois in extremis) par l’utilisation de systèmes logiques constituant des sortes de para-languages aussi utiles donc, qu’éphémères.

L’aventure est partagée faute de quoi, il n’y a pas de langage possible. Dire que les oeuvres de Julien Collieux sont collectives serait sans doute démenti par l’artiste lui-même. Julien Collieux répondrait peut-être malicieusement à cela, que de son point de vue, toute oeuvre est collective. Malgré tout il y a beaucoup à dire sur la place du collectif dans la démarche de Julien Collieux. Il est le chef d’orchestre de ces performances auxquelles est convié un public devenu acteur. Le premier acte esthétique de Julien Collieux consisterait en une adhésion qui permet l’hypothèse suivante: Chacun de nous ne peut apprécier une oeuvre par la défiance. Idée que l’on pourrait volontiers élargir au sens politique et voire par-là, une figure humaniste. Acception idéaliste du travail de Julien Collieux que l’on pourrait conserver jusqu’à la limite du grégarisme nécessaire au bon déroulement des performances. Nouvelle hypothèse donc qui constitue toute l’ambiguïté et l’ironie de l’action collective mise en oeuvre; nous acceptons d’adhérer aux projets par soucis d’atteindre un objectif mais peut-être principalement par ce qu’il nous parait non-productif.

C’est sans doute la fragilité des objets de Julien Collieux et l’intégrité qu’il place dans le projet de leur donner une grâce qui nous lie à un paradigme contradictoire. A l’exclusion de l’artiste orchestrateur et du spectateur acteur on retrouve l’objet au centre de l’oeuvre de Julien Collieux. Il n’est peut-être plus nécessaire de dire combien ses objets sont fabriqués de manière empirique avec des moyens tout autant primaires que leur utilisation est souvent complexe.Notre fascination pour ses objets ( instruments, partitions, dessins, écran) tient à la révélation d’un imaginaire discursif plein de vitalité.

 

 

David Ulrichs:

Julien Collieux’s work shines new light through old windows. He takes the ordinary, the everyday and transforms it into something poetical. In his hands, the barrel-organ’s sheets of holey paper, the music box’s simplistic mechanism and even the classical format A4 are stripped of their limitations and are imbued with new life. In little over one century ‘canned’ music has gone from the music box to MP3; the image from A4 to pixels and d.p.i. That these are issues fuelling this young Frenchman’s work is evident in his work. But Collieux does not remain alone in all this. His installations, as well as his photographs directly involve his audience. While in the former his family, friends and gallery-goers are brought into direct contact with his work through active participation in the realisation process, the latter engages the viewer through an unsuspected familiarity.

Purposefully subverting all classical standard dimensions, Collieux’s work is –amongst other things– an ode to the A4. There is no special hi-tech procedure needed to print his photographs: an ordinary PC and printer suffice. Every A4-page is as necessary as the next, and since each is the same size there is no hierarchy. In his photographs these are pieced together on a simple grid to make one huge image. While from a distance the edges of each A4 are not immediately visible, the simplicity of the production method is never hidden from the viewer. He has successfully demystified the surface of the image; and in an honest attempt to affect the spectator, has left these over-sized photographic images without the gloss that nowadays turns so much lack-lustre photography into art. Ironically, it is precisely this nanometre-thick covering, which lends a shine that shrouds the image, conceals, hides the truth as unconcealment and attracts magpies. Since dimensions can also estrange and distract the viewer, Collieux chooses the A4, which alone or in combination, resonates a deep sense of familiarity: we do not feel overwhelmed, but quietly moved by the human-figures-turned-persons.

Image we represent to our vision are always whole. We see the big picture. Similarly, in his event-installations single moments (e.g. tones) are grasped and pieced together by consciousness in an effort to ‘make sense’ of what we perceive (e.g. hear). It is an act driven by the familiarity of situations, hymns or anthems and always transmitted through the movement of people.